On accable l'Histoire, on prétend qu'elle ferait prendre la pose aux protagonistes de nos tourments. On ne verrait jamais l'ourlet crasseux, la nappe jaunie, le talon de chéquier, la tache de café. Des événements, on ne nous montrerait que que le bon profil. Pourtant, si l'on regarde bien, sur la photographie où l'on voit Chamberlain et Daladier, à Munich, juste avant la signature, aux côtés d'Hitler et de Mussolini, les Premiers ministres anglais et français ne semblent pas très fiers. Mais tout de même ils signent. Après avoir traversé les rues de Munich sous les acclamations d'une foule immense, les accueillant par des saluts nazis, ils signent. Et on les voit, l'un, Daladier, chapeau sur le crâne, un peu gêné, faisant de petits coucous, l'autre, Chamberlain, le hat à la main, avec un grand sourire. Cet inlassable artisan de la paix, comme le nomment les actualités du temps, grimpe sur le perron, pour l'éternité en noir et blanc, entre deux rangées de soldats nazis.
A cet instant, le commentateur inspiré, nasille que les quatre chefs d'Etat, Daladier, Chamberlain, Mussolini et Hitler, animés d'une même volonté de paix posent pour la postérité. L'Histoire rend ces commentaires à leur dérisoire nullité et jette sur toutes les actualités à venir un discrédit navrant. Il paraît qu'à Munich serait né un immense espoir. Ceux qui disent cela ignorent le sens des mots. Ils parlent la langue du paradis où, dit-on, tous les mots se valent. Un peu plus tard, Edouard Daladier, à Radio Paris, seize cent quarante huit mètres sur grandes ondes, après quelques notes de musique, raconte. Il a la certitude d'avoir sauvé la paix en Europe, c'est ce qu'il nous dit. Il n'en croit rien. "Ah les cons, s'ils savaient !" aurait-il murmuré à sa descente d'avion face à la foule qui l'acclame. Dans ce grand bric-à-brac de misère, où se préparent déjà les pires événements, un respect mystérieux pour le mensonge domine. Les manoeuvres terrassent les faits ; et les déclarations de nos chefs d'Etat vont être bientôt emportées comme un toit de tôle par un orage de printemps.